dimanche 17 février 2008

Un certain 17 février 1941


Au matin du 17 février 1941, deux automobiles camouflées se présentèrent à Niepokalanów. En descendirent un interprète et quatre soldats des SS qui appartenaient à la Gestapo. Ils réclamèrent le P. Kolbe qui était en train de dicter à son secrétaire ses réflexions pour un “ projet de livre ” sur l’Immaculée. Il se présenta à la Gestapo avec gentillesse, mais sans complaisance et en toute tranquillité. (…)
Puis, ils ordonnèrent le rassemblement de tous les frères – ils étaient environ 350 – dans une cour et commencèrent une perquisition minutieuse des bâtiments. Vers midi, sans aucune justification, le P. Maximilien et cinq autres Pères furent arrêtés et on les fit monter à bord des voitures des SS. (...)
Ils furent conduits à Varsovie et enfermés à la prison Pawiak, où se faisait le triage vers des camps de concentration. (…) Les gardiens, dès la fin de 1940, étaient exclusivement des soldats et des officiers des SS, aidés plus tard par des Ukrainiens. La haine et le mépris anti-polonais des SS s’exprimaient par des brutalités de tous genres envers les prisonniers ; leur férocité redoublait lorsqu’il s’agissait de prêtres. S’ils découvraient, au cours de leurs minutieuses perquisitions, des médailles, des crucifix ou autres signes religieux, ils les arrachaient avec rage. Le Père Kolbe y entra vêtu de sa bure franciscaine, ce qui l’exposa particulièrement aux mauvais traitements.
Un jour du mois de mars 1941, pénétra dans sa cellule, qu’il partageait avec deux autres prisonniers, un chef de groupe des SS et, le voyant vêtu de sa bure de frère, le crucifix pendant du chapelet attaché à sa corde, il se jeta sur lui, saisit le crucifix et, en le secouant, siffla :
– Tu crois à ça ? Toi ?
– J’y crois, répondit le Père avec conviction.
« Le garde SS le frappa alors avec violence. Il répéta la question avec plus de rage encore :
– Tu y crois ?
« Le Père Kolbe répondit encore :
– J’y crois !
« Les coups redoublèrent jusqu’à ce que le gardien, rouge et écumant de haine, sortît en claquant la porte, laissant le Père meurtri et ensanglanté.
« Ses deux compagnons de cellule, durant cette scène de haine sauvage, étaient restés silencieux ; ensuite, cependant, ils exhortèrent le Père à se défaire de sa bure franciscaine ; mais lui, avec une grande douceur, comme si rien ne s’était passé, fit remarquer qu’il n’y avait pas lieu de tellement se tourmenter : “ Cela, ce n’est rien du tout, c’est tout pour la Petite Mère. ” »(…)
Le Père Kolbe resta cent jours à la prison de Pawiak. Comme il l’avait été à Amtitz et comme il le sera à Auschwitz, il se montra le protecteur spirituel et le père de tous ses pauvres compagnons de prison. Il était très respecté des prisonniers, à cause de sa simplicité et de sa manière de réagir aux conditions de vie souvent dures de la prison. Toute sa personne respirait le calme, une douceur pénétrante, si bien que tous se serraient autour de lui. (…)

Le 28 mai 1941, il est transféré au camp d’Auschwitz . Il y resta 79 jours pendant lesquels il souffrit, avec la même patience et sérénité que nous lui connaissons, la faim, le dénuement, le travail exténuant, les injures et les mauvais traitements. Il était toujours là pour aider, réconforter les autres.
Des témoins racontent comment il fut spécialement victime de la cruauté de ses gardiens : « Il y eut un jour particulièrement dur pour le Père. Le chef sanguinaire le choisit comme victime, il le tourmenta avec une satisfaction visible, s’acharnant sur lui comme le rapace sur sa proie sans défense. » (…)
Pour encourager un détenu, il lui avait dit :
« Mon petit Henri, tout ce que nous souffrons est pour l’Immaculée. Qu’ils voient tous que nous sommes des confesseurs de l’Immaculée. »
Épuisé, le P. Kolbe fit un séjour de trois semaines à l’hôpital du camp, puis il fut envoyé vers le 20 juillet au bloc 12, celui des invalides. On l’y laissa à peine une semaine, et comme il était un peu mieux, on l’envoya au bloc 14, occupé aux travaux agricoles... C’est là qu’il donnera sa vie.
Quelques jours après son arrivée au bloc 14, un prisonnier s’évada. Le lendemain, tous les détenus du bloc 14 durent rester au garde-à-vous toute la journée, avec un seul repas, sous un soleil brûlant.
À l’appel du soir, dans un silence total, le commandant choisit dix condamnés qui iraient mourir dans le “ bunker de la faim ”.
L’un d’eux sanglote, le sergent François Gajowniczek : “ Adieu, adieu, ma pauvre femme, mes pauvres enfants ”.
Alors, le P. Kolbe s’avance : il est digne, droit, le visage très calme. Il s’arrête devant le commandant.
– “ Qu’est-ce que veut ce cochon de Polonais ? ”
Le Père, désignant François Gajowniczek, répondit :
– “ Je suis un prêtre catholique polonais ; je suis vieux, je veux prendre sa place parce qu’il a femme et enfants... ”
Le commandant, stupéfait, ne put parler. (…) D’un geste, il autorisa le Père Maximilien à prendre la place du condamné. Avec les neuf autres, il fut conduit au bunker de la mort. La Providence permit qu’un prisonnier polonais y fut employé par les geôliers. Grâce à lui, nous savons ce que fut la mort de notre saint : une mort d’amour dans la louange de Marie Immaculée.
« Je faisais alors office de secrétaire et d’interprète dans ce souterrain. En repensant à l’attitude sublime que cet homme héroïque a eue en face de la mort, à l’étonnement des gardes de la Gestapo eux-mêmes, je me souviens encore avec précision des derniers jours de sa vie. (…)
« Les dix prisonniers du bloc 14, furent contraints de se déshabiller entièrement, devant le bloc où se trouvaient déjà environ vingt autres victimes d’un précédent “ procès ”. Les nouveaux arrivants furent emmenés dans une cellule séparée. En refermant, les gardes ricanèrent : “ vous vous dessécherez comme des tulipes ! ”
Depuis ce jour-là, ils n’eurent plus aucune nourriture. Chaque jour, les gardes faisaient les visites de contrôle et ordonnaient d’emporter les cadavres de ceux qui étaient morts dans la nuit.
« De la cellule où se trouvaient les malheureux, on entendait chaque jour des prières récitées à haute voix, le chapelet et des chants religieux, auxquels les prisonniers des autres cellules se joignaient. Quand les gardes étaient absents, je descendais dans le souterrain pour parler avec eux et les réconforter. Les prières ferventes et les hymnes à la Vierge se diffusaient dans tout le souterrain. J’avais l’impression d’être à l’église. Le P. Maximilien commençait, et tous les autres répondaient. Quelquefois ils étaient si plongés dans leurs prières qu’ils ne s’apercevaient pas que les gardes arrivaient pour la visite habituelle ; finalement, ce sont les cris de ceux-ci qui les faisaient taire.
« Quand on ouvrait les cellules, les pauvres malheureux sanglotaient et imploraient un morceau de pain et un peu d’eau, ce qu’on leur refusait. Si l’un des plus forts s’approchait de la porte, il recevait aussitôt des coups de pied au ventre, et en retombant en arrière sur le ciment il se tuait, ou bien on l’abattait. (…)
« Le P. Maximilien Kolbe se comportait héroïquement, il ne demandait rien et ne se plaignait de rien ; il encourageait les autres, persuadait les prisonniers que le fugitif serait retrouvé et eux-mêmes libérés.
« Comme ils étaient déjà très affaiblis, ils récitaient les prières à voix basse. À chaque visite, tandis qu’ils étaient presque tous déjà étendus sur le sol, on voyait le P. Maximilien debout, ou à genoux au milieu, et son regard serein se posait sur les arrivants. Les gardes savaient qu’il s’était proposé lui-même, ils savaient aussi que tous ceux qui mouraient avec lui étaient innocents, c’est pourquoi ils avaient du respect pour le P. Kolbe et se disaient entre eux : “ Ce prêtre est tout à fait un homme d’honneur. Jusqu’à présent nous n’en avons pas eu un comme lui ”. » (…)
« À la fin de la troisième semaine il en resta seulement quatre, parmi lesquels le P. Kolbe. Les autorités trouvaient que cela se prolongeait trop, on avait besoin de la cellule pour d’autres victimes.
« C’est pourquoi un jour (le 14 août), on fit à chacun une piqûre intraveineuse de poison au bras gauche. Le P. Kolbe priait, et de lui-même il tendit son bras au bourreau. Ne pouvant supporter ce spectacle, je prétendis que j’avais du travail au bureau, et je sortis.
« Le garde et le bourreau partis, je revins à la cellule, et j’y trouvai le P. Kolbe assis, appuyé au mur, les yeux ouverts, la tête inclinée sur le côté gauche (c’était son attitude habituelle). Son visage était calme, beau, et rayonnant. (...) »

« Le P. Maximilien mourut le 14 août 1941, veille de la solennité de l’Assomption, cette entrée dans la gloire de celle qu’il appelait “ Petite Mère ”. Celle qui avait été tout pour lui, le poème de sa vie, la lumière de son intelligence et de son génie, le battement de son cœur, la flamme de son enthousiasme, son inspiratrice et son guide, la vie même de sa vie, l’attira au Ciel en ce jour de son entrée dans la gloire du Ciel.
« Son pauvre corps lui-même, martyrisé, consumé, nu, parut ce jour-là comme transfiguré et lumineux. (...) “ Quand j’ouvris la porte de fer, témoignera Borgowiec, il avait cessé de vivre ; mais il me paraissait vivant. Le visage était radieux, d’une manière insolite, les yeux grands ouverts et fixés sur un point. Tout le visage était comme en extase. Ce spectacle, je ne l’oublierai jamais. ” » (…)
Le Père Maximilien avait plusieurs fois exprimé le désir de mourir un jour de fête mariale. Comme si la Vierge Marie avait voulu exaucer son fidèle chevalier, c’est le jour de l’Assomption, vendredi 15 août 1941, qu’on fit les “ funérailles ” : son corps, après avoir été ôté de la cellule mortuaire, fut placé dans une caisse de bois, porté au four crématoire et brûlé, tandis que son âme chantait, au Paradis, l’Immaculée triomphante. (…)
Béatifié par le Pape Paul VI le 17 octobre 1971, le Père Maximilien-Marie Kolbe fut canonisé le 10 octobre 1982 par Jean-Paul II.

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