lundi 3 septembre 2007

Les Décombres, extrait 1

Un post de Pierre Assouline m'a donné envie de découvrir Lucien Rebatet, par delà tous les a priori que l'on peut nourrir contre un auteur dont l'antisémitisme fut féroce. Un ami m'a prêté Les Décombres, un livre quasiment introuvable pour des raisons évidentes bien qu'elles ne suffisent pas pour releguer aux oubliettes de la littérature un auteur aussi talentueux. On édite bien Céline, non?
Une fois la férocité antisémite surmontée, la lecture de ce premier tome des Mémoires d'un fasciste, apporte un éclairage des plus intéressants sur l'Entre deux guerres. Je mettrai en ligne dans les prochains jours quelques morceaux choisis. Les historiens qui lisent ce blog apprécieront, j'en suis quasiment sûr: il s'agit d'un document extraordinaire sur la période historique qu'il décrit.
Voici le premier de cette série d'extraits: le lendemain du 6 février 1934, l'auteur, alors journaliste à l'Action Française, est le témoin privilégié de la réaction - ou plutôt de l'absence de réaction, d'un Charles Maurras dépassé par les évènements.


Le 7 février, dans l'après-midi, un fidèle de l'Action Française, Pierre Lecœur, entrait fort animé dans la grande salle de notre rédaction et allait droit à Maurras, qui était en train d'écouter trop galamment le caquetage d'une pécore du monde :

- Maître, Paris est en fièvre. Il n'y a plus de gouvernement, tout le monde attend quelque chose. Que faisons-nous ?
Maurras se cambra, très froid et sec, en frappant du pied :
- Je n aime pas qu'on perde son sang-froid.
Puis, incontinent, il se retourna vers la perruche, pour lui faire à n'en plus finir l'honneur bien immérité de son esprit.
Faute d'une parcelle de volonté pratique, Maurras freinait à grands coups l'élan de sa propre troupe. Il la freinait de depuis la nuit précédente. J'étais présent, cet après-midi là, échiné, aphone, le crâne encore saignant d'un caillou reçu veille sur la Concorde, indigné par cette reculade du maître qui osait affecter la présence d'esprit pour dissimuler un haïssable désarroi. Je me sentais encore trop timide pour braver le courroux de Maurras et surtout ses syllogismes. Mais je voulais quitter la maison sur l'heure et sans retour. On m'arrêta, on me parla d'obéissance. Je m'inclinai; j'eus tort. Ce n'était point la discipline, mais de la faiblesse. Je l'ai compris plus tard.
Cinq cent mille Parisiens avaient tourbillonné comme moucherons autour de la vieille ruine démocratique qu'une chiquenaude, c'est-à-dire la révolution de mille hommes vraiment conduite par dix autres hommes, eût suffi à jeter bas. Le radicalisme n'avait pas su davantage prendre prétexte de l'échauffourée pour se rajeunir et faire, à son compte, cette révolution de l'autorité que les trois quarts du pays appelaient, dont certains de ses affiliés, tel Eugène Frot, avaient caressé l'espoir, dans un chassé-croisé de complots d'opérette se recoupant comiquement avec ceux des « factieux de droite ».
La capitale, pendant tout le jour qui suivit l’émeute, avait été à qui voudrait la prendre. Mais les vainqueurs malgré eux étaient restés interdits et inertes, comme des châtrés devant une Vénus offerte.
La démocratie avait reconquis ses vieilles positions, compromises un instant, par les voies tortueuses qui lui étaient habituelles, en couvrant ses manoeuvres avec des simulacres de justice et d'enquêtes. Elle entraînait sans la moindre peine, sur ce terrain bourbeux à souhait, les nationaux.(….)
Ainsi s'était évanouie, parmi les avocasseries de la droite et de la gauche, les procédures truquées et les crapuleries policières, une occasion inespérée pour notre pays de recouvrer sa santé et sa fortune au dedans, son indépendance au dehors.
On avait pu reconnaître la fragilité de la carcasse parlementaire. Mais elle s'était révélée encore plus ferme que tous ses ennemis. Les Parisiens, des camelots du roi aux communistes,
avaient prouvé qu'ils étaient encore capables d'un beau sursaut de colère et même de courage. Mais leur élan inutile était brisé pour longtemps. "
Lucien Rebatet, Les Décombres, Editions Denoël, pp.30-31, Paris 1942

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